VIRUS DES MANDATS ILLIMITÉS EN AFRIQUE : Quand la démocratie s’efface au profit de l’héritage du pouvoir

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Depuis quelques années, un mal politique s’installe et s’aggrave dans plusieurs pays africains, fragilisant profondément les démocraties du continent. Il s’agit de la modification systématique des constitutions et des lois électorales afin de permettre aux dirigeants de se maintenir indéfiniment au pouvoir. La démocratie vacille sous le poids d’ambitions présidentielles sans limites. Les troisièmes mandats, jadis tabous, sont devenus une norme contestée, et les énièmes mandats désormais envisagés se multiplient inlassablement dans les pays africains. Cette obsession de prolonger leur règne au-delà des limites fixées par la loi s’apparente à un virus qui s’étend d’un pays à l’autre.

En effet, derrière les discours officiels vantant la stabilité ou la sécurité nationale, cette mécanique bien rodée, qualifiée par certains experts de virus africain des mandats illimités, n’est plus une série d’erreurs isolées, mais un modèle récurrent. Les présidents s’inspirent les uns des autres et parfois se conseillent mutuellement pour contourner les règles démocratiques, mettant ainsi à mal les institutions et alimentant les tensions sociales et politiques. Les exemples les plus récents sont parlants.

En Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara, âgé de 83 ans, s’apprête à briguer un quatrième mandat après avoir fait sauter la limitation constitutionnelle en 2016. L’exclusion d’opposants majeurs tels que Guillaume Kigbafori Soro, Laurent Koudou Gbagbo et Cheick Tidjane Thiam a déclenché des manifestations massives à Abidjan, souvent réprimées par les forces de l’ordre. Au Cameroun, Paul Biya au pouvoir depuis 1982 et âgé de 92 ans, prépare un huitième mandat dans un contexte de crise économique et sécuritaire. L’absence de plan de succession renforce une incertitude politique grandissante.

En République centrafricaine, le référendum constitutionnel de 2023 a non seulement supprimé les limites de mandat, mais aussi prolongé la durée présidentielle à sept ans, ouvrant la voie à un troisième mandat pour Faustin-Archange Touadéra. Cette réforme bénéficie du soutien actif de partenaires étrangers, notamment la Russie et le Rwanda.

Pendant ce temps, en Guinée, après le coup d’État de 2021, le président Mamadi Doumbouya a suspendu la constitution avant d’annoncer une transition prolongée, laissant planer le doute sur la tenue d’élections libres et transparentes. Cette période d’incertitude politique alimente tensions et inquiétudes dans un pays déjà fragilisé.

L’Ouganda n’est pas en reste avec Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, qui élimine toutes les barrières constitutionnelles pour se maintenir. Au Togo, une réforme adoptée en 2024 instaure un poste de Président du Conseil des ministres renouvelable sans limite, consolidant une mainmise de la famille Gnassingbé sur le pouvoir.

Ainsi, ces exemples illustrent une tendance lourde en Afrique qui non seulement fragilise les institutions, mais dissimule aussi des intérêts personnels. Par ailleurs, les justifications avancées par ces régimes sont souvent les mêmes, telles que la lutte contre le terrorisme, la préservation de la stabilité, l’achèvement de projets économiques ou la sauvegarde de l’unité nationale. Toutefois, pour de nombreux observateurs, ces arguments masquent surtout la volonté de protéger des intérêts personnels ou familiaux, de maintenir des réseaux d’alliances économiques, d’éviter des poursuites judiciaires et de garantir le soutien d’alliés étrangers intéressés par les ressources ou la position stratégique des pays concernés. Ce virus se propage méthodiquement notamment par les modifications des textes fondamentaux, la neutralisation des adversaires, le contrôle des appareils électoral et judiciaire, ainsi que le verrouillage du paysage médiatique, le tout sous une apparence de légalité avec le soutien implicite de certaines alliances internationales.

Les conséquences de ce phénomène sont lourdes. Elles se traduisent par un affaiblissement des institutions, la suppression des contre-pouvoirs, la marginalisation des voix dissidentes, l’arrestation d’opposants, le verrouillage des médias et une montée des tensions pouvant déboucher sur des violences électorales.

Le résultat quant à lui, n’est plus rien d’autre que la naissance d’une démocratie de façade, où l’alternance politique devient un mirage et où le pouvoir se transmet plus par l’usure que par les urnes. Pourtant, des moyens de lutte existent notamment, la mobilisation citoyenne, l’action des médias indépendants, la pression internationale et des sanctions régionales ou sous régionales. Malheureusement, ces efforts butent souvent sur un manque de volonté politique interne et sur la priorité accordée par certains partenaires étrangers à leurs propres intérêts économiques ou stratégiques.

Cependant, tant que ce virus ne sera pas combattu avec détermination et cohérence, les peuples africains continueront de payer un lourd tribut, avec des institutions en ruines, une souveraineté affaiblie, un espoir démocratique repoussé et une condamnation du continent à vivre sous la menace permanente de l’instabilité et du sous-développement. Autrement dit, sans sanctions visant directement les dirigeants et leurs fortunes personnelles, rien ne changera, car tant que les intérêts privés primeront sur l’intérêt général, ce cycle se répétera inlassablement, débutant par un espoir au commencement des mandats pour s’achever par un verrouillage progressif du pouvoir jusqu’à la prochaine révision constitutionnelle.

✍️ Sabirou TAWEMA

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